Le typosquatting est sévèrement sanctionné par la justice. En effet, un arrêt du 30 novembre 2011 de la Cour d’appel de Paris a sanctionné une société pour typosquatting en raison de l’atteinte au nom commercial et au nom de domaine de la société « typosquattée » ainsi que pour contrefaçon de marque et de droit d’auteur. Avant d’entrer dans les détails de ce jugement, précisons quelques notions.
En quoi consiste le typosquatting ?
Le nom de domaine, moyen de localisation et d’accès à l’information sur le web, constitue une ressource économique non négligeable pour les entreprises. Or de nombreux sites sont sujets à des détournements de leurs noms de domaine, l’utilisation à grande échelle d’Internet faisant de ce média une proie facile. Le typosquatting , pratique de plus en plus fréquente consistant à déposer volontairement un nom de domaine proche de celui d’une marque connue, est une forme particulière de cybersquatting. L’intérêt de ce genre d’agissements est multiple pour le pirate à qui il suffit de déposer une variante du nom commercial (faute de frappe ou d’orthographe, inversion des touches contiguës, TLD erronés, erreurs phonétiques…) pour nuire au site officiel. Rappelons d’ailleurs que l’utilisation d’un nom de domaine ne nécessite que des démarches administratives simples et rapides auprès des organismes compétents. Le typosquatting permet d’abord de détourner une partie des internautes du site officiel en anticipant une erreur des internautes dans la saisie de l’adresse du nom de domaine notoire, ce qui augmente ainsi considérablement le trafic sur la page Internet du pirate. L’avantage pour ce dernier est alors d’augmenter ses recettes publicitaires ou encore de rediriger les internautes vers un site concurrent qui se chargera de rémunérer le typosquatteur en conséquence. En outre, le recours à cette pratique est tout aussi nocif lorsqu’il s’agit d’espionner la correspondance du nom de domaine notoire. Or, cette possibilité est à la portée de tout le monde : par l’activation et le paramétrage des serveurs de messagerie MX (Mail eXchange), le pirate pourra facilement accéder à tous les mails involontairement envoyés sur le nom de domaine typosquatté, quelque soit l’adresse de base indiquée. Même si ces cas restent marginaux, cette pratique peut s’avérer très dangereuse, essentiellement quand les informations envoyées sont des données confidentielles et que les sites pirates usurpent également l’apparence du site initial (banques notamment).
Comment s’en prémunir ?
Les éditeurs de nom de domaine peuvent avoir recours à la justice pour faire entendre leurs droits et réparer le préjudice commercial subi du fait de ce piratage. Dans ce cas, les victimes pourront obtenir réparation de leur préjudice principalement des faits d’atteintes au nom de domaine et au nom commercial (concurrence déloyale), de contrefaçon de marque et le cas échéant de droit d’auteur à condition que l’éditeur du site litigieux soit de mauvaise foi.
Cependant, il faut savoir que l’utilisation d’un nom de domaine n’équivaut pas à une protection de celui-ci. Pour en bénéficier, il sera nécessaire d’enregistrer ledit nom de domaine sous la forme d’une marque.
A défaut, seule l’action en concurrence déloyale et non celle en contrefaçon de marque sera possible sachant que le cumul des deux ne sera admis que si la sanction vise des agissements fautifs indépendamment des faits constitutifs de contrefaçon.
Ainsi, face à ces cas de typosquatting , la jurisprudence a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la réparation du préjudice subi du fait de ces agissements, notamment :
- Pour l’exploitation contrefaisante des noms de domaine www.rueducommerc.com et www.rueducommrece.com (TGI, ordonnance de référé 10 avril 2006, N°06/53067.
- Pour la concurrence déloyale réalisée par la société exploitant les noms de domaine www.pneuonline.com, www.pneusonline.com et www.pneu-online.com de mauvaise foi, ce qui a fait perdre au site officiel www.pneus-online.com une chance de conquérir une part plus importante du marché de la vente en ligne de pneus (Cour d’appel de Lyon, Chambre 3, Section B 31 Janvier 2008, N° 06/05922).
La société Web Vision sanctionnée par la Cour d’appel de Paris.
La Cour d’appel de Paris s’est montré particulièrement sévère avec cette pratique. Elle sanctionne la société Web Vision alors qu’elle organisait, par l’intermédiaire d’un site typosquatté, la redirection des internautes sur le site officiel du demandeur à l’instance (2xmoinscher.com). La société Web Vision n’exploitait donc pas un site concurrent mais effectuait une redirection vers le site officiel moyennant une rémunération pour chaque visite du site. Cette somme était indirectement versée par l’entreprise Trokers, ces sociétés étant respectivement affilié et annonceur de la société Cibleclick, organisateur de ce type d’actions publicitaires.
La Cour d’appel alourdit nettement les sanctions prononcées par le Tribunal de Grande Instance de Paris dans cette même affaire (TGI de Paris, 3ème chambre, 4ème section, 2 avril 2009). Les juges de première instance avaient refusé de caractériser l’existence d’une contrefaçon par imitation de marque, celle-ci n’étant réalisée que « lorsque la dénomination litigieuse sert à désigner un produit ou un service identique ou similaire aux produits et services désignés par la marque imitée et crée un risque de confusion avec ces derniers ». Pourtant, ce n’est pas la solution adoptée par la Cour d’appel qui sanctionne beaucoup plus sévèrement cette pratique. Elle considère que « ces imitations ont été conçues précisément pour être confondues avec celles de la société Trokers au point que le public ne se rende pas compte qu’elle le conduisent à son insu par une chemin détournée, en tirant profit d’erreurs de saisie, vers les produits ou services désignés par les marques imitées ».
Ainsi, pour la Cour, « un tel usage d’imitations de marques, même s’il n’a pas pour objet d’attirer finalement le public vers des produits concurrents de ceux couverts par les marques légitimes - ce qui est le cas en l’espèce puisque la société Web Vision n’exerce aucune activité d’intermédiaire dans les ventes à distance de produits neufs ou d’occasion - mais au contraire de le diriger vers les produits et services qui sont ceux de l’entreprise titulaire des marques imitées, caractérise néanmoins une contrefaçon de ces marques dès lors qu’il concourt à désigner, ainsi que le prévoit l’article L.713-3, b, du code de la propriété intellectuelle « des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement » ».
En définitive, même si les sites litigieux renvoyaient bien les internautes vers le site officiel et non vers des produits de sites concurrents, le grief de contrefaçon a bien été retenu.
Il n’est pas inutile de rappelé que depuis 2003, la Cour de Justice des Communautés Européennes (désormais Cour de Justice de l’Union Européenne) considère également qu’il est possible de sanctionner ce type d’agissement sur le fondement de la contrefaçon par reproduction à l’identique lorsque les différences sont « si insignifiantes qu’elles peuvent passer inaperçues aux yeux d’un consommateur moyen ». (CJCE, 20 mars 2003, affaire Arthur et Félicie).
En outre, elle se montre tout aussi intransigeante en admettant l’atteinte au droit d’auteur sur le fondement de l’article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle. Même si aucun acte de reproduction n’est caractérisé, la Cour d’appel de Paris sanctionne la société Web Vision pour représentation illicite du site car la société éditrice du site officiel :
« considérant, pour autant, qu’en redirigeant automatiquement certains internautes vers le site de la société Trokers par l’exploitation parasitaire d’adresses par elle volontairement altérées constituant par ailleurs, comme dit précédemment, une atteinte aux droits de la société Trokers, la société Web Vision a communiqué ce site au public par un moyen non autorisé et ainsi procédé à une exploitation de ce site distincte de celle initialement souhaitée par son titulaire, ce qui caractérise la représentation illicite au sens des dispositions ci-dessus rappelées de l’article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle ».
Enfin, la Cour d’appel confirme sans surprise l’atteinte au nom de domaine et au nom commercial de la société Trokers du fait de l’exploitation déloyale et à but lucratif de ceux-ci. Ainsi, force est de constater que les juges du fond souhaitent sanctionner de façon exemplaire ces détournements de noms de domaine, qui touchent d’ailleurs l’ensemble du réseau Internet.
Source : journaldunet.com
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