Il s’agit d’un droit inaliénable. Chaque pays a le droit de fixer ses propres règles et de gérer son extension Internet comme bon lui semble. Les deux petites lettres à la droite d’un nom de domaine servant à identifier ce pays par son code ISO relèvent de sa souveraineté nationale.
En fonction de la politique interne du pays, cela peut néanmoins mener à des situations difficiles pour les utilisateurs de l’extension en question. Depuis environ 1 an, c’est ce que vivent les utilisateurs du .CN.
Le .COM de l’Asie
Il y a encore un an, le .CN était le .COM de l’Asie. Y accéder est simplissime, et ce quelque soit le profil du déposant. Chinois ou étranger, particulier ou entreprise. Pas de règles, une procédure d’enregistrement fortement automatisée, la Chine met en place le système parfait pour doter son extension d’une croissance effrénée. Pour la pousser à l’international, un partenariat spécial est imaginé avec une société américaine. Cette dernière prend le rôle de portail entre la Chine et les bureaux d’enregistrement (registrars) étrangers.
Pour vendre du .CN, ils n’ont ainsi pas à s’interfacer directement à la Chine. Il leur suffit de connecter leurs systèmes informatiques à ceux de la société américaine. Comme elle par ailleurs gestionnaire d’autres extensions déjà bien connues du marché comme le .BIZ ou le .US, propose aux registrars un environnement familier, dans le respect des normes techniques internationales du métier de registrar .
La formule a brillamment fonctionné. En quelques années, fort d’une croissance spectaculaire, le .CN est devenue la 2e extension du monde en terme de volume avec environ 14 millions de noms. Seule la reine .COM restait devant !
Explosion de la bulle .CN
Mais le 14 décembre 2009, cette bulle explose. La Chine passe du "zéro condition" au "tout restrictif". Sans prévenir, les autorités décident d’exclure les particuliers du .CN.
Pis, la Chine relève de plusieurs crans le niveau de bureaucratie requis pour l’enregistrement d’un .CN. Même pour les entreprises, l’accès à cette extension se complexifie fortement. Parmi les joyeusetés nouvelles auxquelles font face les registrars accrédités du .CN, l’obligation de transmettre plusieurs documents d’authentification avec chaque demande d’enregistrement d’un nom. Sur ces documents doivent figurer le tampon de la société demanderesse, et ils doivent être envoyés dans un délai de 5 jours. Pas facile, lorsqu’il faut déjà obtenir ces documents de son client, ce qui prend forcément plusieurs jours...
Fermeture des frontières
Le 6 janvier 2010, l’affaire du .CN prend une tournure encore plus problématique. La Chine décide d’interdire le .CN aux étrangers, point ! Un registrar non chinois ne peut plus enregistrer de .CN. Et pas la peine d’essayer de contourner la règle en s’adressant à un registrar chinois, ces derniers ont ordre de refuser toute demande venant de l’étranger.
Devant la surprise et l’indignation générale, la Chine réouvre ses frontières virtuelles le 10 février 2010. Mais les conditions d’accès sont encore plus draconiennes qu’avant. Oui, une société étrangère peut à nouveau enregistrer (les particuliers restent exclus), mais pour cela elle doit obligatoirement avoir une filiale en Chine. Et le nom de la filiale doit être dérivé de celui de la maison mère (par exemple, INDOM China comme filiale d’INDOM).
Belle façon détournée de s’assurer que les candidats susceptibles d’enregistrer un nom de domaine en .CN puissent se compter sur les doigts d’une main.
Messages de vérification
S’en suivent quelques mois d’accalmie. Puis, en juillet 2010, l’approche de la période estivale ayant manifestement à nouveau mis l’imagination des autorités chinoises en ébullition, celle-ci décide d’envoyer à l’ensemble des titulaires de noms de domaine des messages par email. Appelés "Whois reminder" dans notre jargon de professionnels du nom de domaine, ces derniers ont pour but de demander au propriétaire du nom de vérifier que ces données d’identification restent d’actualité (il s’agit des données "Whois" - de la contraction des mots anglais "who" et "is", soit "qui est").
Je vous laisse imaginer la joie de certains de nos clients prioritaires de centaines de .CN. Du jour au lendemain, sans avoir été prévenus (puisque nous-mêmes ne l’avions pas été), ils ont reçu un email par nom... Généreuse, la Chine laisse quand même 15 jours aux titulaires de noms pour répondre.
Cette campagne de mail, certainement perçue comme du spam par de nombreux propriétaires de .CN, va durer jusqu’en septembre.
Puis, à la mi-octobre, les autorités chinoises décident de relancer ces titulaires n’ayant pas validé le premier message. Avec un email entièrement rédigé en chinois ! Et avec obligation cette fois de valider soit en fournissant des documents, soit des codes identifiants !! Et avec le risque, en cas de non réponse avant le 30 octobre 2010, de voir le nom tout simplement supprimé par la Chine !!!
Pourquoi tant de haine ?
Voilà donc où en sont actuellement les titulaires et les registrars du .CN. Il reste quelques jours avant le 30 octobre, on ne peut donc que fortement conseiller à ceux qui ont des .CN de se rapprocher d’un registrar accrédité pour s’assurer que les Whois reminder concernant leurs noms soient bien validés.
En attendant, peut-être, d’autres changements de règles instaurés à l’improviste.
Mais au fait, pourquoi un tel revirement de politique sur le .CN ? A l’époque du premier changement de règle, les autorités chinoises avaient indiqué vouloir endiguer les abus et la pornographie au sein du .CN. Noble intention, même si la méthode retenue paraît douteuse. A tel point que peu y croient. Des rumeurs circulent. Elles font état d’une volonté de la Chine de délaisser le .CN en caractères latins pour privilégier les nouvelles extensions chinoises en caractères locaux .
La vérité, c’est que personne en occident n’a une idée très claire des véritables intentions ou motivations ayant poussées les chinois à fermer le .CN aussi violemment. Les autorités chinoises communiquent très peu avec nous autres registrars occidentaux. Quand elles le font, les informations données sont difficiles à interpréter et souvent peu fiables.
Chute vertigineuse
Mais au final, peu importe les raisons de la pose de ce champ de mines. Déposer un .CN est aujourd’hui devenu un véritable parcours du combattant. De fait, l’extension décroit fortement. Dépassant les 14 millions de noms au sommet de sa gloire en 2009 (14 082 553 .CN enregistrés en février 2009), le .CN a depuis connu une baisse de 58 % et totalise à fin septembre 2010 "seulement" 6 047 926 noms. Si ce chiffre reste élevé dans l’absolu (il y a toujours 3,5 fois plus de .CN que de .FR par exemple, alors que le .CN n’a été libéralisé qu’en mars 2003), il représente néanmoins un crash d’extension comme l’Internet n’en a jamais connu.
Surtout, il témoigne de la difficulté actuelle à déposer un nom de domaine sur cette extension. Alors pour ceux qui veulent le faire, mieux vaut s’armer de patience et adopter une Zen attitude digne de l’Asie.
Source : Chronique de Stéphane Van Gelder, journaldunet.com
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