Faute d’antériorité, un nom de domaine peut être déposé comme marque. Cette décision applique rigoureusement le droit des marques au conflit qui peut opposer le titulaire des droits sur un nom de domaine, à des tiers de mauvaise foi.
En l’espèce, une société de droit chinois de Hong Kong (sté HSS) confiait la réalisation de son site www.mazaldiamond.com à une société informatique rencontrée grâce au gérant de la société défenderesse (M. S. et la sté NPI).
La société HSS allait par la suite découvrir que M. S. et la sté Net Position International avaient enregistré le signe « Mazal » comme marque distinctive (numéro 3 666 622). De même, avaient été enregistrés plusieurs noms de domaine reprenant le signe "mazaldiamond ».
Estimant que ces divers dépôts avaient été réalisés en fraude à ses droits, la société HSS assignait M. S. et la sté NPI devant le TGI de Paris, pour contrefaçon et concurrence déloyale. Outre la condamnation des défendeurs à lui payer d’importantes sommes d’argent, la société HSS demandait de prononcer la nullité de la marque « mazal », ainsi que la radiation des noms de domaines contenant le signe "mazaldiamond". La décision rendue le 17 janvier 2014 par la 3ème Chambre, 2ème Section, tranche ce litige.
Sur la radiation des noms de domaine reprenant le signe « mazaldiamond »
La demande est rejetée par le Tribunal, qui relève l’absence de fondement juridique à la demande, la société HSS n’ayant visé que la fraude. Sur le fond, la demande est écartée, car selon le tribunal, la demanderesse n’apportait pas la preuve de l’antériorité de son droit.
La solution est conforme à la police commune aux noms de domaines, qui est régie par la règle "premier arrivé, premier servi » (on mentionnera toutefois une décision isolée qui a annulé la marque en se fondant sur l’indisponibilité du signe réservé comme nom de domaine, TGI Le Mans, 29 juin 1999 : Expertises 2000, n° 236, p. 107, obs. S. Vital-Durant).
Lorsque l’antériorité du signe n’est pas discutable, la radiation ne fait aucun doute. Il a été ainsi jugé que le titre Écran noir constitue une antériorité opposable à un nom de domaine (TGI Nanterre, 20 sept. 2000 : Comm. com. électr. 2001, comm. 27, obs. C. Caron.). Au cas particulier, cette antériorité faisait défaut, et la demande de radiation ne pouvait pas prospérer, surtout sur le fondement de la fraude (sic).
On peut néanmoins s’interroger sur le point de savoir si la solution aurait été différente si l’action avait été menée sur un autre terrain. L’absence d’activité de la part des déposants, exclusive de tout risque de confusion entre les entreprises, rendait ce fondement aléatoire, tout comme celui de la concurrence déloyale. Sur le fondement de l’agissement parasitaire, le reproche tiré de l’absence d’antériorité n’aurait plus été aussi déterminant, puisqu’est sanctionné l’appropriation du travail d’autrui, (TGI Marseille, 23 févr. 2002 : legalis.net. TGI Marseille, réf., 18 déc. 1998 : JCP E 1999, I, p. 908, n° 23, obs. M. Vivant et C. Le Stanc), peu importe l’absence de concurrence, ou le défaut d’antériorité.
Sur la nullité de la marque Mazal (n° 3 666 622)
La demande était fondée sur les articles L.711-4 et L.714-3 du code de la propriété intellectuelle. La société HSS demandait que la marque « Mazal » déposée le 26 juillet 2009 dans les classes 14 et 42 soit déclarée nulle comme portant atteinte à ses droits antérieurs sur le nom de domaine «mazaldiamond.com» qu’elle a déposé le 7 février 2009.
La motivation du Tribunal pour écarter cette demande est simple, et conforme à la jurisprudence applicable au droit des marques :
. Un nom de domaine peut faire partie des antériorités opposables à celui qui dépose une marque (la liste de l’article L. 711-4, a n’étant pas exhaustive) ;
. Il doit pour cela avoir donné lieu, outre les formalités d’immatriculation ou d’hébergement, à une exploitation effective sous la forme d’un site internet (critère de l’antériorité).
Or, la société HSS ne justifiait pas que son site mazaldiamond.com avait été exploité avant le dépôt de la marque litigieuse. Dès lors, la société HSS ne bénéficiait d’aucun droit antérieur à opposer à la marque litigieuse.
Il convient de rappeler que les textes qui régissent le droit des marques ne contiennent aucune disposition relative à l’antériorité du nom de domaine par rapport à une marque. En l’état de la jurisprudence toutefois, un nom de domaine ne peut conférer une antériorité susceptible d’empêcher l’enregistrement d’une marque que s’il réunit les conditions nécessaires à la protection d’un signe distinctif, tel le nom commercial ou l’enseigne (article L.711-4, c).
Il faut prouver que le nom de domaine, du fait de ses caractéristiques, a pu focaliser une valeur patrimoniale de l’entreprise, de sorte que le dépôt de la marque causerait un préjudice à celle-ci (TGI Le Mans, 29 juin 1999 : Cah. Lamy, nov. 1999, p. 18, note W. Lobelson. CA Paris, 4e ch., 15 sept. 2004 : PIBD 2005, 800, III, 54. TGI Nanterre, 4 nov. 2002 : Rev. Lamy dr. aff. janv. 2003, n° 3545, obs. L. Costes).
Les juges assimilent le nom de domaine à un bien susceptible d’être protégé, tout comme est protégé le nom commercial parce que les titulaires sont dans un rapport de concurrence. En conséquence le nom de domaine ne sera protégeable que s’il est exploité ; son seul enregistrement ne confère à son titulaire aucune protection particulière (CA Paris, 16 janv. 2009, RG n° 05/22915 : JurisData n° 2009-001215).
Aussi implacable soit-elle sur le plan juridique, cette décision n’est pas une bonne nouvelle pour les startups qui se lancent dans le e-commerce. L’exigence de l’antériorité de l’exploitation rend quasi impossible la protection des concepts et autres signes originaux lorsque l’on commande un site internet, à moins de jouir d’une certaine notoriété.
Moralité de cette affaire : Penser à faire signer une sorte de pacte de non agression (clause de confidentialité et de titularité de droits) à tous les partenaires et prestataires informatiques, avant de leur dévoiler ses projets. La protection n’est pas infaillible, mais en cas litige, elle démontrera à tout le moins la mauvaise foi du prestataire, et la violation d’un engagement contractuel.
Source : Jean-Marie TENGANG - Avocat, pour juritravail.com
Moyens techniques :
Domaine.info