Lorsque l’on entreprend de monter un projet, le porteur du projet est amené à s’intéresser à trois signes que sont la marque, le nom de domaine, et la dénomination sociale. Seulement, il arrive que le nom choisi par le porteur du projet entre en conflit avec des droits antérieurs d’un tiers, et qu’entre ces trois signes naisse un conflit, quand par exemple une marque est déposée alors qu’un nom de domaine identique existait déjà, ou bien lorsque la dénomination sociale d’une entreprise est enregistrée alors que ce nom existait déjà sous la forme d’une marque.
C’est pour définir les droits de chacun de ces signes les uns sur les autres, que la notion d’antériorité entre en jeu. Cette notion permet une lecture claire des signes existants, afin d’éviter les parasitages d’une activité.
D’autres éléments entrent aussi en considération afin d’étudier la condition de validité de ces différents signes. Ainsi pour la marque par exemple, trois conditions existent : la licéité du signe (il doit bien sur être licite), la distinctivité (ce signe doit pouvoir se distinguer des autres signes, afin d’éviter la confusion), et la disponibilité. C’est dans ce thème de la disponibilité que se trouve la notion d’antériorité, que nous allons étudier pour les différents signes en présence : marque, nom de domaine et dénomination sociale.
La marque
La marque est un titre de propriété industrielle délivré, sur dépôt auprès des instituts nationaux des marques de chaque pays, afin de distinguer les produits et les services offerts par une personne physique ou morale. Il peut être revêtir différentes formes (une dénominations, un signe figuratif ou bien même un signe sonore !), et doit absolument être distinctif par rapport aux produits ou services désignés.
Le titulaire d’une marque régulièrement enregistrée dispose du droit d’interdire à tout tiers l’utilisation d’un signe identique ou similaire à la marque qu’il a déposée sur le territoire concerné. Une marque est considérée comme disponible si elle ne reproduit pas à l’identique un signe qui bénéficie d’une droit antérieur, pour des produits, des services, ou des activités qui seraient identiques ou similaires aux autres, tels qu’une marque, une dénomination sociale, un nom commercial, connus sur l’ensemble du territoire national. Il est donc indispensable de vérifier au préalable avant tout dépôt de marque la disponibilité du signe choisi. En effet, cette recherche d’antériorités ne sera pas effectuée par les offices de dépôts eux mêmes. Elle relève de la responsabilité du déposant. Et même si la base de donnée des marques est françaises e est consultable sur le site internet de l’office français, l’INPI, il est fortement conseillé de faire appel à un avocat pour la vérification et le dépôt de la marque. En effet, le seul dépôt à l’INPI ne confère qu’une protection territoriale limitée à la France, et une antériorité peut également résulter de dépôts étrangers, supranationaux ou d’autres signes que de marques antérieurs.
Si le dépôt n’est pas pratiqué à l’étranger, le déposant pourra être contraint, à terme, d’adopter un autre nom pour ses produits s’ils doivent passer la frontière.
Ainsi, pour éviter tout trouble, cette recherche préalable ne doit pas se limiter à une recherche à l’identique, mais doit être étendue aux marques ressemblantes. Ces rapprochements peuvent être orthographiques, phonétiques ou même intellectuels. Par exemple, la Cour d’Appel d’Aix dispose « au plan intellectuel, les deux marques présentent une même association d’évocation de la facilité et d’un moyen de transport individuel. Ainsi la marque EASY LIMOUSINE peut être considérée par le consommateur d’attention moyenne comme une déclinaison de la marque EASY CAR pour des services d’une gamme supérieure ou de luxe, le consommateur étant alors fondé à croire que les services identiques et similaires proposés par ces deux marques proviennent d’une même entreprise ou d’entreprises en étroite dépendance. »
En droit français, une marque ne peut pas, en principe, être adoptée quand elle porte atteinte à des droits dits "antérieurs”. Ces droits antérieurs sont expressément énumérés à l’article L. 711.4 du Code de la propriété intellectuelle. L’existence d’une marque antérieure constitue une antériorité de nature à ruiner la validité d’un dépôt ultérieur. Par contre, une marque simplement utilisée mais non déposée ne confère, en principe, aucun droit (à l’exceptions des marques notoires). Mais en dehors de cette situation particulière, une marque d’usage ne saurait constituer une antériorité. Dans le cas d’un conflit d’antériorité face à un nom de domaine, la contrefaçon de marque est le premier grief que le titulaire d’une marque peut faire valoir à l’encontre de celui qui, sans droit, aura enregistré un nom de domaine intégrant sa marque. Les actions en contrefaçon de marques peuvent également être engagées si le nom de domaine est lui aussi protégé à titre de marque et que cette marque est utilisée par un tiers comme un nom de domaine ou sa variante, gênant ou empêchant, de ce fait, la bonne exploitation du nom choisi par le porteur de projet.
Le nom de domaine
Le nom de domaine est un moyen technique de localisation permettant d’identifier un site internet. Force est de constater que de plus en plus d’entreprises ne mentionnent que l’adresse internet de leur site pour leur communication. Elle est le plus souvent la marque même que l’entreprise exploite. Contrairement à une marque, la dénomination choisie pour un nom de domaine n’a pas besoin d’être distinctive par rapport aux produits et services offerts par le site en question.
Le nom de domaine se distingue des autres signes, en deux points notamment :
Il se distingue de la marque, n’étant lui, pas un titre de propriété industrielle ; il se distingue de la dénomination sociale car il n’identifie pas nécessairement la société qui lui est rattachée.
Le nom de domaine parait ainsi plus libre, plus détaché d’un objet commerciale ou d’un but d’identification réel. Il a pourtant maintenant acquis une valeur commerciale considérable. Son utilisation représente donc parfois un enjeu stratégique.
Aucun texte n’indique qu’un nom de domaine constitue une antériorité susceptible de gêner le dépôt d’une marque. Les textes qui régissent le droit de marques n’en parlent pas, tout simplement du fait qu’à l’époque de leur rédaction, internet n’était pas fonctionnel dans le grand public (directive du 21 décembre 1988, loi du 4 janvier 1991). Bien qu’à priori, le « nom de domaine » ne rentre dans aucune des catégories visées dans la liste de l’article L.711.4 cité plus haut, celle ci n’est pas exhaustive et il est donc possible dans certains cas, qu’un nom de domaine soit constitutif d’un droit. La Cour d’Appel de Paris par un arrêt du 18 octobre 2000 énonce que : « si le nom de domaine, compte tenu de sa valeur commerciale pour l’entreprise qui en est propriétaire, peut justifier une protection contre les atteintes dont il fait l’objet, encore faut-il que les parties à l’instance établissent leurs droits sur la dénomination revendiquée, l’antériorité de son usage par rapport au signe contesté et le risque de confusion que la diffusion de celui-ci peut entraîner dans l’esprit du public ».
La jurisprudence ajoute par un nouvel arrêt en 2002 : « L’antériorité dont il bénéficie ne résulte pas de l’immatriculation et du contrat d’hébergement du site, mais de son exploitation effective en France antérieurement au dépôt de la marque ». (Paris, 30 oct. 2002, « Pier Import »). Ainsi, l’antériorité d’un nom de domaine l’emporte sur le dépôt d’une marque ultérieur à celui ci, si le site a été effectivement utilisé. La Cour de cassation a confirmé cette idée par un arrêt en date du 26 mai 2009, estimant qu’un nom de domaine est de nature à antérioriser un autre nom de domaine « ou tout autre type de signe distinctif ».
Par exemple, dans un jugement en date du 13 juin 2003, le Tribunal de grande instance de Paris a considéré que l’exploitation des noms de domaine <pro-voyance.com> et <provoyance.com> antérieurement au dépôt de la marque « Pro-voyance la solution immédiate » justifiait l’annulation de cette marque. Selon les juges, le titulaire de la marque « a porté atteinte aux droits antérieurs de la société TI System que celle-ci tient de l’enregistrement et de l’exploitation des noms de domaine <pro-voyance.com> et <provoyance.com> » : On voit bien ici la double condition d’enregistrement et d’utilisation effective.
En plus de ces deux signes important, que sont marque et nom de domaine, la structure exploitant ces signes doit également pouvoir être reconnaissable, et ceci est possible grâce à la dénomination sociale.
La dénomination sociale
La dénomination sociale d’une entreprise correspond à la dénomination juridique d’une société commerciale. On pourrait dire que c’est l’équivalent du nom de famille pour une personne physique. Dans notre cas, ce nom permet de l’identifier en tant que personne morale. Ce signe ne doit pas être de nature à induire en erreur le public, tout particulièrement quant à l’objet social de cette société, et comme tout signe, il doit être licite, et ne doit donc pas être contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.
Certaines décisions ont estimé que le domaine de sa protection était plus étendu que celui des autres signes distinctifs, en particulier de la marque, et qu’une dénomination sociale était de nature à constituer une antériorité au-delà du secteur d’activité de l’entreprise qu’elle désignait. Une dénomination sociale est protégée dès l’immatriculation de la société au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS). Le droit de propriété sur cette dénomination sociale a une portée nationale, dans le domaine d’activité de l’entreprise en question. Afin de défendre la dénomination sociale d’une société face à l’utilisation du même signe par autrui (que ce soit en tant que dénomination sociale, nom commercial, marque etc.), il faut :
Qu’elle s’effectue dans le cadre d’une activité similaire à celle de l’entreprise ou, s’il s’agit d’une marque pour des produits et services similaires à l’activité de l’entreprise ; qu’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public, (clientèle ou de fournisseurs).
Si ces conditions sont réunies, il est alors possible de faire interdire l’utilisation du signe postérieur en question dans les hypothèses suivantes :
En cas de conflit entre la dénomination sociale de la société et un nom de domainel ou une dénomination sociale postérieur, Le principe d’antériorité est ici simplement appliqué. Pour empêcher l’utilisation de ce nom, il faut alors engager une action en concurrence déloyale. Cette action peut aboutir à l’interdiction d’utiliser le même nom et à une indemnisation par le tribunal compétent.
En cas de conflit entre la dénomination sociale et une marque déposée postérieurement, il est alors possible de demander l’annulation de cette marque en engageant une action en nullité pour indisponibilité de la marque.
Et enfin, il faut que cette utilisation soit postérieure à la première utilisation, soit encore une fois le principe de l’antériorité comme légitimité à utiliser un signe.
L’antériorité d’un signe sur un autre est donc finalement un instrument clé afin de déterminer qui est en droit d’utiliser le signe en question. Effectuer auprès d’un professionnel averti une recherche complète d’antériorité n’est pas une étape superflue dans les étapes de mise en œuvre d’un projet nouveau. C’est la méconnaissance des règles d’antériorités entre les différents signes qui mène bien souvent à des conflits.
Source : Journal du Net, chronique rédigée par Sébastien Lachaussée, Avocat à la Cour et François Kraft, stagiaire.
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Crédits :
Anita