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Portrait d’Alain Pellet, le juriste des noms de domaine au sein de l’Icann

3 April 2014 15:59

Les rides sur son front témoignent des longues heures passées dans les prétoires. Des sillons creusés par les joutes oratoires et le temps, à l’image des frontières des nations qu’il a défendues. Celles du Pérou contre le Chili, pour la possession de zones maritimes riches de poissons, ou encore celles de la Thaïlande contre le Cambodge, sujet de conflit ancestral autour du temple khmer de Preah Vihear. Mais, aujourd’hui, Alain Pellet, 67 ans, l’un des plus éminents juristes français, s’attaque à un univers sans limites géographiques. Depuis un an, il est l’objecteur indépendant pour les programmes des domaines génériques de premier niveau. En clair, il défend les utilisateurs d’Internet contre les hydres modernes du nom de Google ou d’Amazon. 

Cheveux poivre et sel, regard sombre derrière de fines lunettes, lui qui ne connaissait rien aux méandres du réseau a été recruté par le gestionnaire mondial des adresses du Web, l’Icann, pour protéger l’intérêt général contre l’appétit des multinationales. "On ne peut pas dire que ce soit un geek, confie une proche, mais il est curieux et il apprend vite." 

Professeur de droit à l’université Paris Ouest (ex-Paris X-Nanterre), Alain Pellet partage son temps entre ses cours, la défense de pays engagés dans des conflits insolubles et ses activités de conseil pour l’Organisation mondiale du tourisme. Il prend l’avion plus de 100 fois par an, mais trouve toujours un moment pour s’occuper de ses étudiants et assistants. 

Le géant de l’e-commerce s’est vu refuser le .amazon

En septembre dernier, il a réuni ses collaborateurs dans sa maison de campagne à Carnac, en Bretagne. "Il a été mon directeur de thèse, au milieu des années 80, et je lui dois beaucoup. A l’époque, il invitait ses thésards à venir dîner chez lui et, chose assez rare pour un professeur de droit, acceptait la contradiction", se souvient Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). 

Son CV s’étend sur 28 pages ! Il a manifestement impressionné le cabinet de chasseurs de têtes bruxellois venu le dénicher pour cette mission d’objecteur indépendant. Surtout, Pellet a l’avantage de n’avoir jamais défendu les centaines de multinationales candidates à l’enregistrement de nouvelles adresses sur le Net. 

"Nous avons nommé un objecteur indépendant capable de bloquer les dossiers qui pourraient être contraires à la morale et à l’ordre public ou porter atteinte à une communauté", explique Akram Atallah, président chargé des nouveaux noms de domaine à l’Icann. Son objectif : éviter que des entreprises privées ne mettent la main sur des termes dévolus au bien public. 

Le dossier a des enjeux considérables. Après le .com ou le .fr, plus de 1 900 demandes de nouvelles extensions ont été déposées. La société Donuts, créée pour la circonstance et dotée de plus de 75 millions d’euros, convoite 307 termes, pour tenter, ensuite, d’en faire commerce. De son côté, Google a déposé 101 requêtes, tandis qu’Amazon en revendique 76. 

A 140 000 euros le dossier, les trois sociétés, comme tant d’autres, n’ont pas envie de voir leurs projets contrariés par Alain Pellet. Raté. Assisté de Julien Boissise, un de ses anciens étudiants, le juriste s’est opposé à pas moins de 24 demandes, dont le .amazon. Le géant du commerce en ligne s’est vu refuser son adresse, car elle serait en mesure de s’approprier le nom du fleuve Amazone. 

La contre-attaque n’a pas tardé : Amazon a obtenu gain de cause fin janvier devant le Tribunal international de commerce. Google risque de devoir abandonner le .med, trop proche de Méditerranée, médecine ou médicament. Donuts et d’autres entreprises sont aussi dans le viseur pour le .health (santé), le .hospital (hôpital), ou le .patagonia (Patagonie). 

"J’avais un peu d’appréhension à travailler avec lui, reconnaît Julien Boissise. Il est très exigeant et rigoureux, mais officier à son côté est très agréable." Pellet répond fréquemment à des courriels jusqu’à 4 ou 5 heures du matin, y compris le week-end, mais il peut sacrifier des réunions importantes pour assister à un opéra dont il raffole. "On attend le jour où il fera une plaidoirie en chantant", plaisante son assistante, Alina Miron. Prêt à dévoiler une partie de sa vie privée, l’austère juriste - comme ce jeune grand-père se décrit - devient moins loquace lorsqu’il s’agit d’évoquer ses nouvelles fonctions. Surtout auprès des médias. 

"Les journalistes représentent pour lui plus un problème qu’une solution, explique son ami d’enfance Pascal Lamy, ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce. Ses activités le portent à défendre des dossiers très sensibles dans lesquels il craint la manipulation, et il ne souhaite pas plaider par voie de presse. En ce sens, c’est l’anti-Jacques Vergès." 

Pour mener à bien sa mission, l’Icann lui alloue un budget de près de 19 millions d’euros, qu’il gère avec parcimonie. Alain Pellet n’a pas voulu d’un grand bureau au centre de Paris. A peine a-t-il accepté de dépenser quelques centaines d’euros pour mettre à jour son site Internet. Transparence oblige. Protéger l’intérêt général lui impose de communiquer avec les internautes et d’expliquer les motifs de ses objections. Mais il a dû aussi prendre position sur des dossiers sensibles, comme le .gay, le .islam, le .africa, le .adult ou encore le .sex, auxquels il ne s’est pas opposé. Ces demandes continuent de susciter de nombreux échanges et controverses entre des associations, certains Etats et des entreprises privées qui souhaitent mettre la main sur ces précieux noms. 

Mais Alain Pellet ne s’en laisse pas conter. Il a ses convictions. Encarté au PSU, au PS jusqu’en 2003, tiers-mondiste viscéral, il a défendu le Bénin, la Guinée, l’Inde ou encore le Tchad dans de longs conflits juridiques. Internet n’est qu’un autre territoire, un univers sans bornes à protéger.

 

 

Source: Emmanuel Paquette pour lexpansion.lexpress.fr

 

Moyens techniques :
domaine.info

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