Ce n’est pas parce qu’une adresse URL ne constitue pas « en tant que telle » une publicité au sens de la législation sur le commerce électronique, qu’elle ne peut jamais être qualifiée de telle au regard des règles relatives à la protection des consommateurs ou des autres professionnels. Tout dépend du contexte et de la finalité. Ainsi l’a décidé la Cour de justice de l’UE.
Quel chef d’entreprise n’a pas été agacé de voir un de ses concurrents très bien placé dans les résultats d’une recherche internet sur sa propre marque, le nom de sa société ou d’un de ses produits ?
Sommé de s’expliquer, le responsable IT de service répond sans doute que le concurrent fait ainsi un usage particulier de « métatags » ou « méta données ». Ces mots-clés, insérés dans le code source d’un site, sont lus par les moteurs de recherches. Une entreprise peut alors être tentée d’améliorer sa position en y insérant des marques et dénominations de produits concurrents. Parfois, cet usage ne pose pas de difficultés : les sponsors du Mundial seront autorisés à utiliser cette marque dans leurs métatags afin d’apparaître lorsque les fans effectuent une recherche liée à la compétition. Toute autre est la situation de Pepsi qui utiliserait « Coca-Cola » comme métatag sans l’accord de la firme d’Atlanta.
Combien de chefs d’entreprise se sont aussi étonnés de constater que le nom de domaine correspondant à leur propre marque était réservé par un concurrent. À nouveau, un technicien répond que la réservation d’un nom ne donne souvent pas lieu à vérifications préalables : si le nom est disponible, il peut être enregistré.
Le droit des marques a évolué
Il y a peu de temps, si le terme utilisé en metatags ou en nom de domaine constituait également une marque, le titulaire jouissait d’une protection particulièrement efficace. C’est moins vrai aujourd’hui, car la jurisprudence exige que ce titulaire démontre que l’usage litigieux porte atteinte à l’une des fonctions de sa marque.
Quelles sont ces fonctions ? Il y en a plusieurs, mais la plus essentielle est la garantie de l’origine : être certain que tous les produits et services qu’elle désigne ont été fabriqués ou fournis sous le contrôle d’une entreprise unique et que celle-ci est responsable de leur qualité.
Il y a « atteinte à cette fonction lorsque l’annonce [ou autre usage qui est fait de la marque par le tiers] ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute [ou le public] normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire d’un tiers. », ou lorsque l’usage « reste à tel point vague sur l’origine des produits ou des services » que l’internaute type précité ou le public visé « n’est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui est joint à celui-ci, si l’annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou, bien au contraire, s’il est économiquement lié à celui-ci ».
Il s‘agit d’une appréciation de pur fait : l’atteinte à la fonction essentielle de la marque « dépend en particulier de la façon dont cette annonce est présentée. » En pratique, il n’est pas du tout évident de démontrer une telle atteinte en matière de référencement, ou pour lutter contre un enregistrement abusif de nom de domaine.
La protection des noms de domaine
Les noms de domaine bénéficient d’une protection spécifique, aussi bien devant les tribunaux que dans les nombreuses procédures d’arbitrage en ligne. Pour gagner, il faut en règle générale établir l’absence d’intérêt légitime et la mauvaise foi de celui qui a enregistré le nom de domaine. Cette mesure de protection, et singulièrement l’arbitrage en ligne, se révèle extrêmement efficace en pratique, rapide et peu coûteux. Par contre, elle ne protège que le nom de domaine et non les métatags, de sorte que ce dispositif n’offre pas de protection contre un référencement jugé abusif.
Le droit de la publicité
Récemment, les juristes ont imaginé utiliser le droit de la publicité pour défendre l’entreprise confrontée à de telles pratiques. Un récent arrêt de la Cour de justice de l’Union Européenne, rendu le 11 juillet 2013, pourrait renforcer cette approche.
Le droit belge n’offre pas, en la matière, une, mais deux définitions de la notion de publicité :
Pour la loi sur les pratiques du marché et la protection du consommateur, la publicité est « toute communication ayant comme but direct ou indirect de promouvoir la vente de produits ou de services, [quels que soient] le lieu ou les moyens de communication mis en œuvre ».
Quant à la loi sur le commerce électronique, elle voit dans la publicité « [...] toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, des biens, des services ou l’image d’une entreprise, d’une organisation ou d’une personne ayant une activité commerciale, industrielle ou artisanale ou exerçant une activité réglementée. ». Mais, elle précise que « ne constituent pas en tant que telles de la publicité : a) les informations permettant l’accès direct à l’activité de l’entreprise, de l’organisation ou de la personne, notamment un nom de domaine ou une adresse de courrier électronique; (…) ».
C’est l’articulation entre ces deux textes, et leur portée, que la Cour de Cassation belge a soumis au juge suprême européen, a permis à cette dernière de prendre clairement position sur trois points :
Ce n’est pas parce qu’une adresse URL ne constitue pas « en tant que telle » une publicité au sens de la législation sur le commerce électronique, qu’elle ne peut jamais être qualifiée de telle au regard des règles relatives à la protection des consommateurs ou des autres professionnels. Tout dépend du contexte et de la finalité. La promotion de la vente ou de la prestation de services, ou l’amélioration de l’image auprès des clients potentiels ne naît pas seulement du site hébergé sous le nom de domaine mais du choix du nom de domaine ou de l’adresse URL lui-même qui, par ses composantes, choisies avec soin, a pour fin d’inciter le plus grand nombre de visites. L’utilisation du nom de domaine peut dès lors constituer une publicité. Dont acte.
Il en va de même des métatags. Dans la mesure où ils sont utilisés en incluant les dénominations des produits d’un concurrent et du nom commercial de celui-ci et que cette utilisation a pour conséquence de suggérer à l’internaute, qui les a introduit en tant que mots de recherche, que ce site a un rapport avec sa recherche, la Cour y voit une forme de communication indirecte relevant de la publicité, même si ces données sont invisibles pour l’internaute.
En revanche, le seul enregistrement d’un nom de domaine n’est pas une publicité car, en tant qu’acte purement formel il n’implique pas de lui-même une utilisation effective du nom en vue de promouvoir les ventes de produits et de services de son titulaire. Tout au plus, selon la Cour, l’enregistrement en tant que tel constitue une restriction des possibilités de communication du concurrent. Heureusement, pour ce comportement-là, le dispositif spécifique des noms de domaine assure la plupart du temps un relais efficace.
Sur la base de cette reconnaissance, le droit de la publicité pourrait bien constituer le terreau d’nouvelle arme juridique en vue d’obtenir que le référencement soit jugé abusif au regard des dispositions spécifiques relatives à l’interdiction des publicités trompeuses et/ou comparatives. Reste à savoir en quelles circonstances… Des développements à suivre avec intérêt.
Source : Etienne Wery, avocat aux barreaux de Bruxelles et Paris (cabinet Ulys) et Thierry Léonard, avocat au barreau de Bruxelles (Ulys) - Professeur Université Saint-Louis – Bruxelles, pour droit-technologie.org.
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