Héritant d’une histoire déjà mouvementée, le Forum sur la Gouvernance d’Internet, IGF (Internet Governance Forum), tiendra sa première session du 30 Octobre au 2 Novembre 2006, à Athènes.
Quelques centaines de délégués y représenteront les gouvernements de nombreux pays, les organisations internationales, le secteur privé et la société civile. Conformément à la structure de la réunion, définie lors de la préparation de Mai 2006 à Genève, ils débattront sur les quatre thèmes suivants : ouverture, sécurité, diversité et accès. Les discussions seront d’ailleurs retranscrites en 6 langues et, même, accessibles en temps réel en webcast.
L’IGF bénéficie du parrainage de l’ONU et de l’autorité de son Secrétaire général, M. Kofi Annan. Néanmoins, l’IGF reste indépendant de l’Organisation des Nations Unies.
Le Forum sur la Gouvernance d’Internet a vocation à formuler des recommandations sur la coordination, la gestion et le développement des ressources Internet sur la planète. Il traite autant des questions d’ordre technique que des questions de politique générale, en matière d’utilisation et d’évolution de la toile. Dans son fonctionnement, il doit assurer l’équilibre de toutes les parties prenantes et veiller à la participation effective des pays en développement.
Les travaux de l’IGF, destinés à influencer les "milieux de prise de décisions", feront l’objet de publications systématiques et d’indicateurs de suivi et de réussite.
Concernant les noms de domaine génériques, gTLD (generic Top Level Domain), l’IGF pourra élaborer une politique publique en coopération avec les parties prenantes. Par ailleurs, il défendra le droit légitime des Etats à rester maîtres de leurs extensions nationales, ccTLD (country code Top Level Domain).
Américanisme en question
Les Etats-Unis, historiquement à l’origine d’Internet, disposent de fait d’une mainmise sur son fonctionnement. Cette domination repose sur la possession d’infrastructures essentielles au routage , installées sur leur sol, et sur le contrôle de la principale instance de régulation, ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers).
Cependant, des parties prenantes issues de différents pays sont déjà associées au fonctionnement et au développement d’Internet, via la mosaïque d’organismes qui en assure la gestion technique. Il s’agit principalement de trois groupes d’entités : l’ ISoc (Internet Society), créée en 1992, le W3C (World Wide Web Consortium), créé en 1994, et l’ICANN, créée en 1998.
L’ISoc se charge plus spécialement de l’ingénierie et des standards, avec des entités comme l’IAB (Internet Architecture Board), l’IESG (Internet Engineering Steering Group), l’IETF (Internet Engineering Task Force), l’IRSG (Internet Research Steering Group) ou encore l’IRTF (Internet Research Task Force). Au total, elle regroupe plus de 150 organisations et 6.000 membres individuels, issus d’une centaine de pays.
Le W3C se donne pour mission d’optimiser l’exploitation du potentiel des infrastructures et des protocoles d’Internet, ainsi que de veiller à l’interopérabilité des contenus et des matériels. Il développe et fait la promotion de toutes normes qui vont dans ce sens.
L’ICANN, par délégation contractuelle du Gouvernement des Etats-Unis, assure l’administration générale du DNS (Domain Name System), qui permet l’adressage sur Internet. Elle comporte sa propre instance d’arbitrage des conflits d’attribution de noms de domaine : l’UDRP (Uniform domain-name Dispute-Resolution Policy).
On estime que 80% des adresses IP allouées par l’ICANN correspondent à des organismes ou à des sociétés américaines. De plus, le fonctionnement des IDN(Internationalized Domain Name), qui reconnaît les caractères accentués ou les typographies non ASCII, n’est pas encore implémenté de façon significative. Toute la planète doit donc utiliser des caractères "américains" dans ses adresses. Entre interceptions de messages et désactivations de noms de domaine, les Etats-Unis peuvent aussi exploiter leur mainmise sur Internet comme une arme stratégique.
Le temps de la gestation
Le Forum sur la Gouvernance d’Internet est ardemment réclamé, par tous ceux qui contestent la prééminence du pouvoir des Etats-Unis, sur la gestion et le développement de la toile mondiale. Chine, Brésil, Inde, Union Européenne et bien d’autres obtiennent sa création, en sollicitant l’autorité de l’ONU. En Novembre 2001, les Nations Unies constituent un Groupe d’Etudes, sur les Technologies de l’Information et de la Communication., et, le 21 Décembre 2001, prennent la décision de préparer l’organisation d’un Sommet Mondial de la Société de l’Information, appelé SMSI ou WSIS (World Summit on the Information Society).
Du 10 au 12 Décembre 2003 à Genève, la première phase du SMSI ne laisse pas indifférent, puisqu’elle réunit plus de 11.000 personnes représentant 175 pays. Il s’agit essentiellement de poser les bases d’une Société de l’Information accessible à tous. Cette première phase se traduit par une Déclaration de principes et un Plan d’action concret]. La disposition C6 du Plan d’action demande expressément au Secrétaire général des Nations Unies de constituer un Groupe de travail sur la Gouvernance d’Internet. De Mars 2004 à Juillet 2005 seront effectivement organisées des réunions internationales en ce sens, avec la création du [WGIG (Working Group on Internet Governance). Pourtant, la deuxième phase du SMSI, qui se tient du 16 au 18 Novembre 2005 à Tunis, n’aboutit pas à la concrétisation de l’IGF. Plus de 19.000 personnes assistent au Sommet de Tunis, qui réaffirme : "La gestion internationale de l’Internet, devenu une ressource publique mondiale, devrait s’opérer de façon multilatérale, transparente et démocratique, avec la pleine participation des Etats, du secteur privé, de la société civile et des organisations internationales..."
M. Nitin Desai, conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU, organise donc deux nouvelles réunions de préparation de l’IGF : la première en Février 2006 et la deuxième en Mai 2006, à Genève. Celle-ci fixe enfin la structure de la première session de l’IGF, qui aura lieu du 30 Octobre au 2 Novembre 2006, à Athènes. L’IGF tiendra session chaque année et, après 5 ans d’existence, un rapport sur l’opportunité de poursuivre ses activités sera établi par le Secrétaire général de l’ONU et les membres du Forum.
Des objectifs mais pas de pouvoir
Les déclarations accompagnant la création de l’IGF recèlent des litanies de sujets à développer. Ils concernent la santé des infrastructures : viabilité, robustesse, sécurité, stabilité, qualité de service, capacités de développement... Ils soulignent la responsabilité sociale du réseau : lutte contre la fracture numérique et accès pour tous, coûts des noms de domaine, usage en outil d’éducation... Ils visent à lutter contre la malveillance : cyberattaques, cybercriminalité, spam... Ils encouragent les libertés civiles : liberté d’expression, droit à la vie privée et à la confidentialité des données... Ils favorisent le multilinguisme et développent les IDN, etc.
Malgré ses objectifs, le rôle de l’IGF est limité par le Paragraphe 77 de l’Engagement de Tunis, relatif à sa création : "Le Forum n’aurait aucune fonction de contrôle et ne remplacerait pas les mécanismes, institutions ou organisations existants mais les ferait intervenir et s’appuierait sur leurs compétences. Il constituerait un mécanisme neutre, ne faisant pas double emploi et non contraignant. Il n’interviendrait pas dans les opérations courantes ou techniques de l’Internet"
Ce paragraphe rassurera M. David Gross, ambassadeur américain chargé des négociations au Sommet de Tunis, qui affirme : "Aucun organisme international, qu’il émane ou non de l’ONU, ne doit contrôler Internet"...
Les enjeux du pouvoir sur le réseau des réseaux n’ont donc pas fini d’agiter les autorités nationales et internationales.
IGF (Internet Governance Forum) http://www.intgovforum.org/
WSIS (World Summit on the Information Society) http://www.itu.int/wsis/
[WGIG (Working Group on Internet Governance) http://www.wgig.org/
Jean-Michel de Lamezan Pour DomaiNews
Contact : Rédacteur en chef : Sam Syamak BAVAFA