Le nom de domaine représente un enjeu stratégique majeur des entreprises. De part son rôle économique primordial, il est bien souvent la cible d’agissements mal intentionnés, tels que le hacking ou le cybersquatting.
Le cybersquatting est une forme de parasitisme qui consiste à déposer des noms de domaines correspondant à des marques ou entreprises de façon à capter un trafic Internet qui leur est normalement destiné. Bien que les noms de domaine répondent à la règle du « premier arrivé premier servi » édictée par l’article 45-1 du Code des postes et des communications électroniques, il s’avère pourtant difficile pour le titulaire du nom de domaine de le protéger efficacement. Sauf à ce qu’il soit déposé en tant que marque, le nom de domaine n’est en effet en lui-même pas protégé par la propriété intellectuelle : il faut donc agir sur le fondement de la concurrence déloyale. Pour éviter les problèmes liés aux caractère très international du cybersquatting, des procédures électroniques ont été mises en places pour faciliter la récupération des noms de domaines : l’UDRP et la PARL. Toutefois, ces procédures ne sont utilisables que sous certaines conditions.
La procédure UDRP
Adoptée en 1999 par l’ICANN, l’UDRP est une procédure de règlement des conflits relatifs aux noms de domaine qui ne concerne que ceux dont l’extension est en .com, .net, .org, .biz, .info et .name. C’est une procédure internationale. Elle ne peut s’appliquer qu’aux litiges opposant le titulaire d’une marque aux réservataires d’un nom de domaine postérieur. Plusieurs organismes sont agréés pour traiter de ce type de litiges : le centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI, le NAF (National Arbitration Forum) ou encore l’ERES. Cette procédure a l’avantage d’être rapide et de se dérouler exclusivement en ligne.
Quelles sont les conditions pour mettre en mouvement la procédure UDRP ?
Qui peut recourir à la procédure UDRP ?
Toute personne physique ou morale peut saisir l’OMPI dès lors qu’elle est titulaire d’un nom de domaine en gTLD (c’est-à-dire en .com, .net, etc). S’agissant des noms de domaine en ccTLD, il est également possible de recourir à la procédure proposée par l’OMPI dès lors que l’administrateur du nom de domaine a adopté les principes UDRP.
Quelles sont les conditions de saisine ?
La procédure UDRP n’est applicable qu’aux litiges opposant le titulaire d’une marque aux réservataires d’un nom de domaine ultérieur à l’enregistrement de la dite marque. Ainsi, selon l’art. 4.a des Principes directeurs, donnent lieu à l’ouverture d’une telle procédure administrative les situations suivantes :
-Le nom de domaine enregistré par le détenteur est identique ou semblable, au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits ;
-Le détenteur du nom de domaine n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache ;
-Le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
C’est au requérant d’apporter la preuve que ces trois éléments sont réunis.
En outre, les Principes directeurs précisent à l’article suivant quelles peuvent être les preuves de l’enregistrement et de l’utilisation d’un nom de domaine de mauvaise foi :
-Les faits montrent que le nom de domaine a essentiellement été enregistré ou acquis aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais ayant été déboursés ;
-Le nom de domaine a été enregistré en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et le défendeur est coutumier de ce genre de pratiques ;
-Le nom de domaine a été enregistré essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent ;
-En utilisant ce nom de domaine, le défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation du site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.
Comment se déroule la procédure UDRP de l’OMPI ?
Les différentes étapes de la procédure UDRP peuvent être résumées en cinq points :
1) Le dépôt d’une plainte auprès d’une institution de règlement des litiges agréée par l’ICANN et choisie par le requérant, par exemple le Centre de l’OMPI ;
2) La présentation d’une réponse par la personne physique ou morale contre laquelle la plainte a été déposée ;
3) La constitution, par l’institution de règlement choisie, d’une commission administrative composée d’un ou de trois experts, qui sera appelée à se prononcer sur le litige ;
4) La formulation de la décision de la commission administrative et la notification de cette décision à toutes les parties intéressées ;
5) L’exécution de la décision de la commission administrative par l’unité ou les unités d’enregistrement intéressées si ladite décision porte radiation ou transfert de l’enregistrement du ou des noms de domaine en cause.
En moyenne la procédure UDRP dure 60 jours à compter de la réception de la plainte par le Centre de l’OMPI.
Le coût de la procédure varie en fonction du nombre de noms de domaine. Ainsi pour un à cinq noms de domaine pour lesquels un seul expert est amené à se prononcer, la taxe s’élève à 1 500 US dollars (environ 1200 euros). En revanche, pour un litige concernant davantage de noms de domaine pour lequel trois experts sont amenés à se prononcer, la taxe s’élève à 4 000 US dollars.
Le système de résolution des litiges de l’AFNIC
Quelles sont les conditions pour mettre en mouvement le système de résolution des litiges de l’AFNIC ?
Le système de résolution des litiges concernant les noms de domaine en .fr et en .re par l’AFNIC est prévu par l’article L.45-6 du Code des postes et des télécommunications : « Toute personne démontrant un intérêt à agir peut demander à l’office d’enregistrement compétent la suppression ou le transfert à son profit d’un nom de domaine lorsque ce nom de domaine entre dans les cas prévus à l’art. L.45-2.
L’office statue sur cette demande dans un délai de deux mois suivant sa réception, selon une procédure contradictoire fixée par son Règlement intérieur qui peut prévoir l’intervention d’un tiers choisi dans des conditions transparentes, non discriminatoires et rendues publiques. Le Règlement intérieur fixe notamment les règles déontologiques applicables aux tiers et garantit le caractère impartial et contradictoire de leur intervention. Le Règlement intérieur de l’office est approuvé par arrêté du ministre chargé des communications électroniques. »
Le règlement intérieur de l’AFNIC prévoit les conditions de recours à une telle procédure et a été approuvé par le ministre chargé des communications électroniques le 21 octobre 2011, a été publié au Journal Officiel le 3 novembre 2011 et est entré en vigueur le 21 novembre 2011.
Cette procédure prévue par l’AFNIC n’a pas vocation à allouer des dommages et intérêts au requérant mais uniquement à supprimer ou transférer le nom de domaine litigieux.
Cette procédure ne peut être mise en œuvre que si aucune autre procédure extrajudiciaire et/ou aucune procédure judiciaire concernant le nom de domaine litigieux n’est en cours au moment de la demande du requérant auprès de l’AFNIC.
Comment se déroule la procédure ?
1ère étape : la procédure de règlement des litiges est réputée ouverte dès que le requérant a adressé à l’AFNIC par voie électronique une demande complète, qui sera prise en charge par un Rapporteur. En cas de demande incomplète ce dernier dispose d’un délai de quinze (15) jours pour communiquer au requérant la liste des éléments manquants (toujours par courrier électronique). Le requérant a sept (7) jours pour renvoyer à l’AFNIC les éléments mentionnés. Le Rapporteur informera alors à son tour le requérant dès lors que le dossier sera considéré complet.
La demande est considérée comme complète lorsque :
- Le formulaire de demande est rempli ;
- Les frais de procédure sont réglés par le Requérant ;
- Le nom de domaine litigieux est actif ;
- Le nom de domaine a été créé ou renouvelé postérieurement au 1er juillet 2011 ;
- Aucune procédure judiciaire ou extrajudiciaire concernant le nom de domaine litigieux n’est en cours.
Dans le cas où le requérant aurait échoué à présenter une demande complète dans les délais sus indiqués, sa demande serait rejetée. Néanmoins le requérant pourra toujours soumettre à nouveau ladite demande ultérieurement.
2ème étape : le Rapporteur présente ensuite la demande complète au Collège, qui dispose de deux (2) mois pour statuer sur la demande, entendu que le requérant peut décider de mettre un terme à la procédure après avoir informé le Collège. Dans une telle hypothèse, le nom de domaine serait dégelé.
Le Collège se compose de trois membres : le directeur général de l’AFNIC préside, ainsi que « deux membres titulaires nommés par le directeur général parmi les collaborateurs de l’AFNIC en raison de leurs compétences juridiques, de leur connaissance des pratiques du marché des noms de domaine ainsi que de leur expérience nécessaire pour garantir la bonne exécution de leur intervention dans le traitement des litiges ». Le directeur général nomme également deux suppléants.3ème étape : dès l’ouverture de la procédure, le Rapporteur gèle l’ensemble des opérations sur le nom de domaine litigieux pendant toute la durée de celle-ci, voire au-delà selon l’issue du litige.4ème étape : une fois le dossier complet, le Rapporteur notifie l’ouverture de la procédure au titulaire du nom de domaine litigieux par voie électronique et postale, lui indiquant que l’AFNIC dispose d’un délai de deux (2) mois pour statuer, que les opérations sur le nom de domaine litigieux sont gelées et que les pièces et écritures du requérant sont mis à sa disposition par voie électronique.
Le Rapporteur informe également le bureau d’enregistrement auprès duquel le nom de domaine litigieux a été enregistré.5ème étape : le titulaire bénéficie d’un délai de vingt et un (21) jours calendaires dès la notification de la procédure pour envoyer une réponse à l’AFNIC, par voie électronique et contenant le formulaire de réponse rempli. Le titulaire a la possibilité d’ajouter des pièces au dossier jusqu’à l’expiration de ce délai.
Par soucis du respect du contradictoire, le requérant peut consulter le dossier du titulaire sur la plateforme électronique de l’AFNIC.6ème étape : à la fin du délai de réponse du titulaire, le Collège dispose d’un délai de vingt et un (21) jours calendaires pour rendre une décision prise à la majorité des membres présents (qui doivent impérativement être au nombre de trois).
Pour rendre ladite décision, le Collège évalue l’intérêt à agir du requérant et cherche à savoir si le nom de domaine litigieux est :
- « 1° Susceptible de porter atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ou à des droits garantis par la Constitution ou par la loi ;
- 2° Susceptible de porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle ou de la personnalité, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi ;
- 3° Identique ou apparenté à celui de la République française, d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales ou d’une institution ou service public national ou local, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi. »
Le Collège peut également prendre en compte la force majeure.La décision peut consister en la transmission du nom de domaine au requérant, la suppression du nom de domaine ou encore le rejet de la demande. La décision, motivée et écrite, est immédiatement exécutable. En cas de décision défavorable, le requérant peut déposer une nouvelle demande accompagnée de d’éléments nouveaux.
7ème étape : le Rapporteur notifie par voie électronique et postale la décision du Collège à chaque partie, ainsi qu’au bureau d’enregistrement auprès duquel le nom de domaine litigieux a été enregistré.
8ème étape : la décision est exécutée à l’expiration d’un délai de quinze (15) jours calendaires courant dès le jour de notification de la décision aux parties.
Il est possible de suspendre l’exécution de décision si l’une ou l’autre partie transmet au Rapporteur un document selon lequel un tribunal a été saisi d’une procédure concernant le nom de domaine litigieux. Dans le cas où dans un délai de soixante (60) jours la décision du Collège n’a toujours pas été exécutée, l’AFNIC peut procéder elle-même à la suppression du nom de domaine litigieux.
En conclusion
Les procédures alternatives existent, et permettent de récupérer un nom de domaine dans les 3 semaines, ce qui est très rapide pour des délais de procédure. Toutefois, il n’est pas toujours aisé de prouver la mauvaise foi du cybersquatteur, notamment lorsque les éléments de preuve manquent ou que le nom de domaine ne reposait pas sur une entreprise connue.
Autre problème: la procédure internationale UDPRD nécessite une marque, et bon nombre de créateurs d’entreprises n’ont pas pris soin d’enregistrer leur nom de domaine à titre de marque. Néanmoins, les entreprises disposent de moyens pour se défendre et peuvent s’appuyer sur les conseils de spécialistes pour éviter que le cybersquatting n’affecte pendant une durée trop longue leur activité.
Source: Chronique rédigée par Sébastien Lachaussée, Avocat et Pauline Garrone, stagiaire pour le Journal du net
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